Réchauffement climatique

La banquise arctique en déclin depuis les années 80

Publié le 09.01.2024, 15:46 (CET)

La superficie des banquises arctique et antarctique peut varier d'année en année. Toutefois, seules les observations à long terme permettent d'obtenir des tendances climatiques robustes.

A l'échelle mondiale, l'année 2023 a été la plus chaude jamais enregistrée. Pourtant, les banquises arctique et antarctique semblent s'étendre, affirment certains internautes sur base d'un graphique du National Snow and Ice Data Center (NSIDC), qui fait référence dans l'étude des territoires recouverts de glace.

« L'Arctique va commencer 2024 avec presque 1 million de km2 en plus que l'année dernière. L'Antarctique va, elle, commencer avec près de 2 millions de km2 supplémentaires », assurent-ils dans des publications vues des dizaines de milliers de fois sur X et Facebook.

Or ces données sont incorrectes et leur interprétation est trompeuse.

Évaluation

Les chiffres relayés sont surévalués par rapport aux données du NSIDC. De plus, comparer la superficie de la banquise sur deux années a peu d'intérêt d'un point de vue climatique. En Arctique, la tendance à long terme montre un net recul de la glace de mer (autre nom de la banquise), là où c'est moins clair pour l'Antarctique, ont expliqué plusieurs scientifiques à la Deutsche Presse-Agentur (dpa).

Faits

Les publications partagées sur les réseaux sociaux s'appuient sur un graphique du NSIDC. Sur celui-ci, on observe une courbe bleue, représentant la superficie de la banquise arctique début 2024. Lorsqu'on clique sur l'année 2023 (dans la colonne de droite), une courbe verte apparaît en dessous de celle de 2024, suggérant que la superficie de la banquise était alors inférieure. Ce qui est correct.

Selon les données du graphique, au 1er janvier 2024, l'étendue de la glace de mer arctique excédait de 472.000 km2 celle qui prévalait un an auparavant (soit 13,078 millions au 1er janvier 2024 - 12,606 millions au 1er janvier 2023 = 472.000). On est donc loin du « presque 1 million de km2 en plus » brandi par les internautes.

En Antarctique (voir second onglet sous le titre du graphique ou la version archivée ici), la banquise a, quant à elle, gagné 1,377 million de km2 par rapport au 1er janvier 2023 (6,373 millions - 4,996 millions = 1,377 million), soit bien moins que les « presque 2 millions de km2 supplémentaires » avancés dans les publications.

Les chiffres relayés par les internautes sont donc trompeurs, car surévalués par rapport aux données du NSIDC. Ces dernières ne montrent par ailleurs « rien de surprenant », a confirmé Walter Meier, chercheur au NSIDC, dans un mail à la dpa, le 8 janvier 2024.

Des observations sur au moins 30 ans

Les publications comparent, en outre, la superficie des banquises arctique et antarctique sur deux années, sans tenir compte de son évolution à long terme.

« Il est important de comprendre que la glace de mer, en tant qu'indicateur du changement climatique, fluctue d'une année à l'autre », explique Stephen Bell, rédacteur scientifique pour le réseau international Climate Feedback, créé pour lutter contre la désinformation climatique.

Selon lui, « les fluctuations annuelles des phénomènes naturels ne sont pas aussi importantes que les tendances générales. En d'autres termes, une différence dans l'étendue de la glace de mer entre le mois de janvier de cette année et celui de l'année dernière n'est pas significative lorsqu'il s'agit de commenter le changement climatique », précise-t-il dans un mail à la dpa, le 5 janvier 2024.

Egalement sollicité par la dpa, le climatologue et professeur à l'Université catholique de Louvain, François Massonnet, confirme : « Il ne faut jamais comparer des données climatiques d’une année par rapport à la précédente. Pour établir l'existence de tendances robustes, on travaille sur des périodes d'au moins 30 ans. »

De plus, « dans les simulations climatiques fournies par les modèles, il n'est pas rare de trouver des périodes de 7 ou même 14 ans durant lesquelles la glace de mer voit sa superficie augmenter, malgré une augmentation de gaz à effet de serre atmosphériques », ajoute-t-il.

Ceci est également suggéré dans cette étude, publiée dans la revue scientifique Nature Climate Change. Selon ses auteurs, la variabilité du climat peut masquer ou accentuer la perte de glace de mer induite par le réchauffement climatique d'origine humaine sur des échelles de temps allant de quelques années à quelques décennies.

Dans l'Arctique, la banquise en déclin

Comme indiqué précédemment, la superficie des banquises arctique et antarctique varie fortement selon les saisons (elles fondent en été et se reconstituent en hiver), les années et la variabilité naturelle du climat.

Dans l'Arctique, la tendance ces dernières années indique une relative stabilité. Mais les observations à long terme montrent un net recul depuis les années 1980, selon le NSIDC.

On peut également le constater à partir des données satellite de la NASA : en septembre (lorsque la banquise atteint son minimum annuel), l'étendue de la glace de mer arctique se rétracte en moyenne de 12,2% par décennie.   

Pour l'Antarctique, « les tendances sont moins claires », fait remarquer Stephen Bell.

Selon l'Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique (NOAA), les huit dernières années ont été marquées par des minima estivaux inférieurs à la moyenne, ce qui constitue la plus longue série depuis le début des observations par satellite. Toutefois, en raison de l'extrême variabilité naturelle de la superficie de l'Antarctique en été, il est encore trop tôt pour dire si ces faibles étendues récentes marquent le début d'un déclin significatif.

Jusqu'à présent, la tendance globale à long terme (depuis 1979) est presque stable.

Prétexte aux fake news

Malgré le consensus scientifique, le réchauffement climatique et ses conséquences font régulièrement l'objet d'informations trompeuses sur les réseaux sociaux.

La dpa en a déjà vérifié de nombreuses, allant de la vulnérabilité de la Grande Barrière de corail en Australie à la perte de masse glaciaire au Groenland, en passant par la survenue d'importantes chutes de neige, d'épisodes d'averses intenses ou de sécheresse dans l'hémisphère nord.

(Situation au 09.01.2024)

Liens

A propos du climat en 2023 - OMM (version archivée)

Publications Facebook I, II, III, IV (versions archivées I, II, III, IV)

A propos du NSIDC de la NASA (version archivée)

Publication X (version archivée)

Graphique du NSIDC (version archivée banquise arctique avec courbe de 2023, banquise antarctique avec courbe de 2023)

A propos de Walter Meier (version archivée)

A propos de Stephen Bell (version archivée)

Site web de Climate Feedback (version archivée)

A propos de Climate Feedback - The Conversation (version archivée)

A propos de François Massonnet - UCLouvain (version archivée)

Etude parue dans Nature Climate Change (version archivée)

A propos de la superficie de la banquise arctique - NSIDC (version archivée)

Données satellite de la NASA pour l'Arctique (version archivée)

A propos de la superficie de la banquise antarctique - NOAA (version archivée)

Fonte record de la banquise antarctique - Libération (version archivée)

Fact-checks de la dpa I, II, III, IV, V

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