Les médias allemands largement épargnés, lors des procès de Nuremberg

16.11.2021, 13:04 (CET)

Deux groupes suisses, « Soulèvement helvétique » et « Je suis Suisse », publient sur leur page Facebook ce message : « Lors des procès de Nuremberg, même les médias ont été poursuivis et mis à mort pour avoir menti au public. » (Versions sauvegardées ici et ici.)

Évaluation

Cela n'a pas du tout été le cas. À l'issue du principal procès des criminels de guerre nazis, qui s'est tenu à Nuremberg (Allemagne) en 1945 et 1946, un seul journaliste - reconnu comme tel - a été condamné à mort et exécuté par pendaison : Julius Streicher. Lors des 12 procès qui ont suivi, il n'y en a eu aucun autre.

Faits

Les deux groupes publient une photo d'archive d'un officier allemand disposant des médailles militaires, sur une table. Cette photo, qui circule depuis longtemps sur les réseaux sociaux, est barrée d'une légende, rédigée en anglais, qu'ils ont traduite en français : « During the Nuremberg trials, even de media was prosecuted and put to death for lying to the public. »

La réalité a été différente.

Les 13 procès de Nuremberg (1946-1949 ; récapitulatifs ici et ici) se sont soldés au total par 36 condamnations à mort et 23 exécutions, en particulier pour crimes contre l'humanité.

Parmi les personnes pendues, on ne dénombre qu'un seul journaliste actif pendant la Seconde Guerre mondiale : Julius Streicher, directeur de l'hebdomadaire (devenu quotidien) viscéralement antisémite « Der Stürmer » (« L'assaillant »), de 1923 à 1945. Il a été exécuté le 16 octobre 1946.

Le magistrat et professeur allemand Eike Fesefeldt, un grand spécialiste du deuxième conflit mondial, explique dans un article que dans le procès des responsables du Troisième Reich, seules les procédures judiciaires contre les organes de presse nazis n'ont jamais été menées à leur terme, de façon radicale.

En 1947, écrit-il, il ne s'agissait plus de faire un procès à la presse et aux propangandistes nazis. Quelques condamnations à des peines de prison ont été prononcées, mais jamais à la peine capitale.

Interrogée par la dpa, Nicole Mullier, responsable du Cercle d'étude de la déportation et de la Shoah, en France, confirme : « La dénazification a dû être peu sévère. C'est sans doute comme pour beaucoup de fonctionnaires, de juristes, etc. : on avait besoin des journalistes », après la guerre.

Dans ce contexte, déclare à la dpa l'historien belge Alain Colignon, bibliothécaire au Centre d'étude guerre et société (Cegesoma), « pour autant que je sache, le seul « journaliste » condamné à mort et exécuté a été Julius Streicher. Mais je pense que Streicher a été condamné à mort comme antisémite notoire et coresponsable du judéocide, en extrapolant quelque peu ses pouvoirs réels - il n'était « que » gauleiter de Franconie, et ce jusqu'en 1940 ».

« Un autre journaliste présent lors du procès de Nuremberg, c'était un certain Hans Fritsche, adjoint de Goebbels pour la propagande radiophonique. Mais il n'a pas été condamné à mort. Il a dû sa présence lors de ce procès fameux au fait d'avoir été en quelque sorte le substitut et la « voix » de Goebbels, ministre de la Propagande et suicidé à Berlin le 1er mai 1945 », relève l'historien.

Nicole Mullier cite toutefois un deuxième nom : celui d'Alfred Rosenberg, lui aussi exécuté le 16 octobre 1946.

Alfred Rosenberg fut, de 1923 à 1938, le rédacteur en chef du journal officiel du parti national-socialiste allemand, le « Völkischer Beobachter ».

Alain Colignon estime toutefois que ce n'est pas à ce titre qu'il a été pendu : « Il a bien été directeur du « Völkischer Boabachter », le quotidien du NSDAP. Mais il était avant tout l'idéologue du parti nazi - il a notamment écrit « Le Mythe du XXème siècle ». C'est surtout pour cela et pour son rôle en Russie occupée qu'il a été condamné à mort et pendu. Il n'a pas l'image du journalistte ou du publiciste. Plutôt celle d'un philosophe fumeux, mais philosophe quand même... »

Sur base d'autres photos et témoignages, l'AFP, en France, et Snopes, aux États-Unis, jugent eux aussi que Julius Streicher est le seul journaliste d'active qui a été exécuté au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

(État des lieux au 16/11/2021)

Liens

Messages Facebook 1 (archivé)

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Nuremberg en français (archivé)

Nuremberg en anglais (archivé)

Julius Streicher (archivé)

Eike Fesefeldt (archivé)

Nicole Mullier (archivé)

Alain Colignon (archivé)

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Alfred Rosenberg (archivé)

AFP (archivé)

Snopes (archivé)

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