Blogeur suisse interprète l'étude sur les patients asymptomatiques de facon erronée

09.12.2020, 18:36 (CET)

Des patients du COVID-19 sans symptômes qui ne seraient pas contagieux ? C'est en tout cas ce qu'affirme le blogueur suisse Jean-Dominique Michel qui tire une sorte de conclusion en se basant sur une étude réalisée à Wuhan : « Dans la présente étude, la culture du virus a été réalisée sur des échantillons de cas positifs asymptomatiques, et n'a trouvé aucun virus SRAS-CoV-2 viable. Tous les contacts étroits des cas positifs asymptomatiques se sont révélés négatifs, ce qui indique que les cas positifs asymptomatiques détectés dans cette étude étaient peu susceptibles d'être infectieux ». (publication archivée)

ÉVALUATION : L'étude est juste, mais l'interprétation qu'en fait la publication Facebook est fausse. Certains patients asymptomatiques peuvent être très contagieux.

FAITS :

LE CONTEXTE : L'étude publiée sur le site de Nature peut être considérée comme fiable. Chercheurs et scientifiques de tout ordre considèrent la revue scientifique comme prestigieuse et digne de confiance.

Bruno Grandbastien, Médecin adjoint au Service de Médecine Préventive Hospitalière Hygiène, Prévention et Contrôle de l'Infection du CHUV à Lausanne, constate : « les auteurs ont screené plus de 9 millions de personnes sans antécédent de Covid identifié au cours de la seconde quinzaine de mai et ils n’ont pas retrouvé de nouveaux cas confirmés symptomatiques. Ils ont bien observé un faible nombre de cas positifs mais sans symptômes et aucun cas secondaires autour d’eux. Dans les supplementary data (table 1), on note que les niveaux de charge virale sont très faibles chez ces patients ».

DIFFÉRENTS SCÉNARIOS :

Jean Vanderpas
, médecin biologiste retraité et épidémiologiste spécialisé en santé publique, explique qu'il existe plusieurs situations dans lesquelles un patient PCR SARS-CoV-2 peut être testé positif mais ne pas presenter de symptômes. 

Tout d'abord, une marge d'erreur existe avec les tests PCR. Ses détracteurs critiquent vivement le fait que le test PCR peut engendrer des résultats dits faux-positifs. L'étude met en exergue cette hypothèse en effectuant une double analyse, inculant des PCR positifs qui débouchent sur des cultures virales SARS-Cov-2 négative. Jean Vanderpas explique : « Comme toute analyse de biologie clinique, un test PCR SARS-CoV-2 positif peut être faussement positif. Dans ce cas, le test de culture virale SARS-CoV-2 qui détecte des virus infectants est négatif ».

C'est d'ailleurs ce que l'étude met en avant, en effectuant une double analyse qui démontre que des tests PCR positifs débouchent sur une culture virale SARS-Cov-2 négative. L'hypothèse de résultats faux-positifs n'est donc pas à exclure. Le spécialiste ne remet cependant pas en cause l'efficacité des tests PCR : « Il y aurait donc 0,3 pour 10.000 faux-positif, ce qui correspond à une spécificité supérieure à 99,99% ; et donc, ces réactifs PCR SARS-CoV-2 sont à considérer comme excellents en termes de spécificité ».

Comme il n'y a pas de confirmation par culture virale, il est également difficile de caractériser les personnes testées au préalable positives par PCR, comme asymptomatiques.

Si on retrouve chez la personne testée du virus par la PCR, il peut s'agir de différentes subdivisions : présymptomatique, asymptomatique véritable, paucisymptomatique, ou malade en voie de guérison. Une personne asymptomatique est infectée par le SARS-CoV-2, mais ne développe pas de signes cliniques de la maladie COVID-19. « Un patient sera dit 'paucisymptomatique' s'il présente en période aiguë de la maladie des signes cliniques modérés, souvent aspécifiques et qui n'évoqueront peut-être même pas une infection Covid-19 pour le patient lui-même ou son médecin », explique Bruno Grandbastien. Il ajoute : « On estime que près de 80% des cas de Covid sont a- ou pauci-symptomatiques ». Une patiente pré-symptomatique n'aura pas de symptomes au moment des tests, mais développera une maladie COVID-19 dans les deux, trois jours suivants.

Les pré-symptomatiques sont déjà très contagieux en fin de période d’incubation. Une autre catégorie de personnes pouvant être apparaitre positives au test PCR au coronavirus mais engendrant des culture virales négatives sont les patients atteints du COVID-19 en fin de maladie. Bruno Grandbastien explique que dans cette étude, le cycle threshold (Ct) médian se situatait entre 34 et 35. Le Ct permet l'estimation de la charge virale : un seuil Ct élevé correspond à une faible charge virale.

Bruno Granbastien explique : « un Ct de 33 signe une charge virale très faible compatible avec une infection ancienne. À ce niveau de charge virale, les collègues français parlent de "faible positivité" ». Le centre de référence de Genève (le CRIVE) considère également un seuil de Ct inférieur à 33 pour interpréter un résultat positif. Selon Bruno Grandbastien, « toutes ces données témoignent en faveur de l’identification, 2 mois environ après la fin de lockdown de Wuhan, de patients qui auraient fait un vrai Covid-19 asymptomatique ou paucisymptomatique mais non étiqueté comme tel et qui peuvent garder des traces d’une charge virale faible, dont la contagiosité est inexistante ».

Comme le précise le médecin du CHUV, il est important de noter que le risque de contagiosité pour un patient qu'il soit symptomatique, pré- a- ou paucisymptomatique est très variable : « il n'y a pas de corrélation franche entre la symptomatologie et la charge virale ».

Pour terminer, Jean Vanderpas note qu'il ne peut pas s'agir de dizaines de cas asymptomatiques avérés. « Il serait tout à fait surprenant de n’avoir aucune maladie COVID-19 déclarée en termes cliniques : la proportion des asymptomatiques sur l’ensemble des patients infectés par le SARS-CoV-2 ne dépasse pas 50% dans les études avec les proportions les plus élevées, et généralement, il y a moins de 20% d’asymptomatiques sur l’ensemble des infectés SARS-CoV-2, les 80% autres développant une maladie COVID-19 ».

L'ÉTUDE COMPLÉMENTAIRE :
les virologues interrogés par l'agence dpa ont donc déduit de la première étude que certains patients testés positifs mais ne disposant pas de symptômes n'étaient pas contagieux. À cela, s'ajoute l'information selon laquelle toutes les personnes positives sans symptômes n'ont pas obligatoirement cette faible charge virale.

Deux études complètent les observations faites ci-dessus : la première également publiée sur nature.com (18.06.2020), la seconde cette fois-ci par National Center for Biotechnology Information (30.11.2020).

Bruno Grandbastien cite la seconde étude du site Nature, Clinical and immunological assessment of asymptomatic SARS-CoV-2 infections, comme étude solide, qui rejette l’affirmation selon laquelle les asymptomatiques auraient des charges virales plus faibles que les symptomatiques. L'étude du National Center for Biotechnology Information démontre que certaines personnes asymptomatiques peuvent également avoir des charges virales très élevées dans leur organisme.

Jean Ruelle, virologue et chercheur qualifié à l'UCLouvain, explique que cette étude a été menée auprès d'une population chinoise comparable à celle de Wuhan : celle-ci estime « que 3/4 des infections se déroulent à partir de personnes asymptomatiques ou pré-symptomatiques! », ajoute-t-il.

La source sur laquelle se base la publication Facebook est donc valide. Les interprétations faites par l'utilisateur et par Jean-Dominique Michel, elles, ne le sont pas. L'observation selon laquelle, la culture du virus « n'a trouvé aucun virus SRAS-CoV-2 viable » ne permet pas de conclure qu'il s'agissait d'échantillons de cas positifs de véritables asymptomatiques.

« Si dans le cadre de l’étude de Cao S et al (étude partagée par Jean-Dominique Michel), il est correct de dire que les contacts étroits des cas asymptomatiques n’ont pas été contaminés, extrapoler cette donnée à tous les cas asymptomatiques et s’appuyant d’autre part sur une affirmation inexacte (démontré ci-dessus) est par contre faux », explique Bruno Grandbastien. Il rappelle l'hypothèse
selon laquelle un patient asymptomatique peut parfaitement être en période pré-symptomatique : dans ce cas toutes les conclusions de cette étude ne peuvent alors s’appliquer. « Notre propre expérience nous a montré que lorsque que nous dépistons tous les patients d’un étage, nous identifions des personnes totalement asymptomatiques porteuses de charges virales très élevées », témoigne le médecin.

De plus, plusieurs recherches conduites par différents médias laissent entendre, que Jean-Dominique Michel n'aurait pas les compétences pour interpréter de telles recherches scientifiques.

Ce qu'on peut retenir, c'est que les études ci-dessus ne se contredisent pas, elles se complètent : certains patients asymptomatiques peuvent avoir des charges virales faibles, tout comme certains peuvent être hautement contagieux.

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Liens :

Publication de Jean-Dominique Michel sur Facebook: https://www.facebook.com/jeandominiquemichel/posts/10158875875017766(archive : https://archive.vn/dZMIR)

À propos de Bruno Grandbastien : https://www.linkedin.com/in/grandbastien-bruno-186a4b47/?originalSubdomain=fr (archive : https://archive.ph/KyiRQ)

À propos de Jean Ruelle : https://uclouvain.be/en/research-institutes/irec/jean-ruelle-pi.html(archive : http://dpaq.de/pSvox)

À propos de Jean Vanderpas : https://www.linkedin.com/in/jean-vanderpas-577b5b18/?originalSubdomain=be 

et https://www.sciensano.be/en/people/jean-vanderpas/biblio


Étude publiée dans la publication Facebook : https://www.nature.com/articles/s41467-020-19802-w?fbclid=IwAR1E9o2Byf3ha6V9DEgnIjjUHTZqDMm2UVPMHTbaC9Bd8EOgyK0xoIlJ7UA (archive : https://archive.ph/ICffo)

Étude sur les risques de contamination par des personnes asymptomatiques - National Center for Biotechnology Information : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33257893/(archive : http://dpaq.de/pxjat)

Étude - Clinical and immunological assessment of asymptomatic SARS-CoV-2 infections :
https://www.nature.com/articles/s41591-020-0965-6 (archive : https://archive.ph/UVaXw)

Recherches sur Jean-Dominique Michel : https://www.arretsurimages.net/articles/un-toutologue-suisse-envahit-les-medias-francais (archive : http://dpaq.de/hlCoY)

https://factuel.afp.com/hold-une-video-truffee-de-fausses-informations (archive : http://dpaq.de/G2x7b)

https://www.heidi.news/sante/que-penser-des-interventions-de-jean-dominique-michel-sur-l-epidemie (archive : http://dpaq.de/Q43Am)

https://www.sciencepresse.qc.ca/actualite/covid-19-depister-desinfo/2020/11/19/approche-trompeuse-film-hold-4-choses-savoir (archive : http://dpaq.de/sVtTE)

https://menace-theoriste.fr/jean-dominique-michel-imposteur-de-lanthropologie-medicale/?fbclid=IwAR3gjoOz0BFtN9u_4SadnK6C_kEiIJoiuSdVcmtS4QJvUQN0BnbKaw-H2tk (archive : http://dpaq.de/i4naU)

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