Interprétation erronée
Le Groenland perd en masse glaciaire depuis 27 ans
Publié le 15.9.2023, 12:56 (CEST)
L'été 2023 a été le plus chaud jamais mesuré, a annoncé l'Organisation météorologique mondiale le 6 septembre. Un mois auparavant, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, avait également tiré la sonnette d'alarme : « L'ère de l'ébullition mondiale a commencé », avait-il proclamé après trois semaines de canicule à travers le monde.
Pour de nombreux internautes, ces déclarations ne seraient toutefois que « mensonges » et « manipulations ». La preuve ? « La couverture de glace au Groenland est de plus en plus imposante », assurent-ils dans des publications devenues virales sur Facebook et la plateforme X (ex-Twitter), notamment. Mais leur raisonnement est-il correct ?
Évaluation
Non, les données sur lesquelles ils se fondent ne dépeignent qu'une partie du tableau, ont expliqué plusieurs climatologues à la Deutsche Presse-Agentur (dpa). Si la surface de la calotte glaciaire gagne en masse, cela ne remet pas le réchauffement climatique en cause. L’effet du vêlage (détachement) des icebergs est plus important, de sorte que la calotte glaciaire perd plus de masse qu'elle n'en gagne depuis 27 ans.
Faits
Les publications partagées sur les réseaux sociaux s'appuient sur un article publié le 5 septembre 2023 sur un blog germanophone. Selon celui-ci, du 1er septembre 2022 au 31 août 2023, la « couverture de glace » au Groenland a été supérieure à la moyenne établie entre les années 1981 et 2010. La masse glaciaire gagnerait donc du terrain.
L'article se fonde sur un graphique de l'Institut danois de surveillance de l’Arctique, Polar Portal, une source reconnue dans le milieu scientifique (ces données peuvent également être retrouvées sur le site de Polar Portal, deuxième onglet Acc., à la date du 30 août 2023).
Le graphique en question compare les évolutions annuelles du « bilan de masse de surface » (SMB) de la calotte glaciaire du Groenland. Cet indicateur désigne la somme entre l'accumulation de neige et la perte de masse (fonte par ruissellement) à la surface de la calotte glaciaire. Il est « toujours positif au cours d'une année car toutes les chutes de neige ne s'écoulent pas à nouveau de la calotte glaciaire », précise le Polar Portal lui-même sur son site web.
« Le SMB affiche la météo, pas le climat en premier lieu. Il y a des années froides avec beaucoup de chutes de neige et des années chaudes avec peu de chutes de neige », signale Martin Stendel, de l'Institut danois de météorologie (DMI), associé au Polar Portal, dans un mail le 13 septembre 2023 à la dpa.
Sur le graphique, « on remarque que l’année 2022-2023 (courbe bleue) évolue de façon proche de la valeur moyenne (courbe grise), avec certes des valeurs plus élevées de septembre à janvier et de juin à juillet, mais toujours dans la variabilité de la période de référence 1981-2010 (...). Rien d’anormal donc », souligne le glaciologue à l'Université libre de Bruxelles, Jean-Louis Tison, dans un mail le 12 septembre 2023 à la dpa.
A titre de comparaison, 2012 (courbe rouge) avait été, avec 2019, l'une des pires années pour le Groenland concernant le bilan de masse en surface.
Un indicateur partiel de la fonte des glaces
Le SMB ne constitue toutefois pas le seul indicateur de variation de la masse glaciaire. Il ne représente qu'un pan de la réalité. « Le bilan de masse de surface n'équivaut pas au bilan de masse total », avertit d'ailleurs l'institut danois sur son site web.
Le SMB ne tient, par exemple, pas compte du vêlage des icebergs et de leur fonte lorsqu'ils entrent en contact avec l'eau de mer chaude. « Les gens ont tendance à mal interpréter ces résultats, malgré le texte explicatif » sur le site, déplore Martin Stendel.
Or c'est le bilan de masse total (TMB) qui est le plus intéressant à suivre pour savoir si la calotte glaciaire du Groenland perd ou gagne de la masse. Cet indicateur se compose de trois paramètres : le bilan de masse de surface, le vêlage des icebergs et les effets de frottement et autres au bas de la calotte glaciaire, comme expliqué ici sur le site spécialisé Carbon Brief.
Le Groenland perd sept fois plus de glace qu'il y 30 ans
« Le TMB, la somme des trois, devrait être nul, du moins à long terme, si la calotte glaciaire ne perd ni ne gagne de masse. Or il est négatif depuis 27 années consécutives », explique Martin Stendel, co-auteur d'une étude faisant référence sur le sujet.
« A la fin des années 1990, on avait : 700 gigatonnes [ou milliards de tonnes] de neige par an (Gt/yr) - 300 Gt/yr (fonte) - 400 Gt/yr (icebergs) = 0 », détaille le directeur du Laboratoire de climatologie de l'Université de Liège, Xavier Fettweis, également co-auteur de l'étude.
Depuis lors, la perte de masse s'est accentuée sous l'effet du réchauffement climatique. Les pertes de glace dépassent désormais de loin le gain net en surface (c'est-à-dire les chutes de neige - la fonte de surface en été). Désormais, « on a typiquement 700 Gt/yr de chute de neige (ça n'a pas vraiment changé) - 450 Gt/yr (fonte) - 500 Gt/yr (icebergs) = -250 Gt/yr », ajoute Xavier Fettweis.
Ceci apparaît également dans une étude effectuée par 89 chercheurs internationaux, publiée en 2019 dans le journal Nature. Les résultats montrent que le taux de perte de glace est passé de 33 milliards de tonnes par an dans les années 1990 (lorsque l'île était proche de l'état d'équilibre) à 254 milliards de tonnes par an au cours de la dernière décennie, soit sept fois plus en 30 ans.
Les données recueillies par les satellites de la NASA permettent de confirmer cette tendance à la baisse avec des chiffres comparables. Selon ces obersavtions, le Groenland aurait perdu en moyenne 270 milliards de tonnes de glace par an entre 2002 et 2023, contribuant à l'augmentation du niveau marin d'environ 0,8 millimètre chaque année.
Des infox récurrentes
La fonte de la calotte glaciaire du Groenland fait régulièrement l'objet de fausses informations sur les réseaux sociaux.
Parmi ces contrevérités, l'allégation selon laquelle le Groenland gagnerait de la masse chaque année ou que la fonte se serait inversée ces dernières années revient de manière sporadique dans des groupes se revendiquant comme « climato-réalistes ».
Or ces arguments, fondés sur des données isolées, passent sous silence nombre de facteurs qui causent pourtant la fonte des glaces.
(Situation au 15.09.2023)
Liens
Communiqué de presse de l'OMM (version archivée)
Déclaration d'Antonio Guterres (version archivée)
Publications Facebook I, II, III (versions archivées I, II, III)
Publication X (version archivée)
Article en allemand (version archivée)
Graphique de Polar Portal au 30 août 2023 (version archivée)
Site web de Polar Portal (version archivée)
A propos du climatologue Martin Stendel (DMI) (version archivée)
A propos du climatologue Jean-Louis Tison (ULB) (version archivée)
A propos de l'année 2012 au Groenland (version archivée)
A propos des composants du TMB - Carbon Brief (version archivée)
Greenland ice sheet mass balance from 1840 through next week - étude (version archivée)
A propos du climatologue Xavier Fettweis (ULiège) (version archivée)
A propos des pertes de glace - The Conversation (version archivée)
A propos de l'étude internationale sur la fonte de glace au Groenland - publiée dans le journal Nature (versions archivées I, II)
Données satellite de la NASA I, II (versions archivées I, II)
Fact-check: « Le Groenland était vert » - RTBF (version archivée)
Fact-check: « Le Groenland gagnerait de la glace chaque année » - TF1 (version archivée)
À propos des fact-checks de la dpa
Ce fact-check a été rédigé dans le cadre du programme indépendant de vérification de Facebook/Meta. Plus d’informations au sujet de ce programme peuvent être trouvées ici. Pour en savoir plus sur la façon dont Facebook/Meta gère les comptes qui diffusent des informations erronées, cliquez ici.
Si vous avez des objections ou des remarques, merci de les envoyer à l'adresse factcheck-belgium@dpa.com en incluant un lien vers la publication Facebook concernée (voir le modèle à utiliser ici).
Pour plus d’informations sur la manière de soumettre une correction ou de contester une évaluation, veuillez vous référer à cette page.