Un numéro de série sur un missile retrouvé à Kramatorsk qui ne prouve rien

15.04.2022, 16:10 (CEST)

Des dizaines de personnes ont été tuées ou blessées lors d’un bombardement à la gare de Kramatorsk, dans l’est de l’Ukraine, le 8 avril 2022. Moscou et Kiev s’accusent mutuellement d’être à l’origine de cette attaque. Mais, si l’on en croit des publications qui circulent sur Facebook (comme ici et ici), le numéro de série d'un missile Tochka-U retrouvé sur le site prouverait que celui-ci appartenait aux forces armées ukrainiennes. Est-ce bien le cas ?

Évaluation

Les éléments présentés sur Facebook ne permettent pas d’attribuer la responsabilité de cette attaque à l’un ou l’autre camp. D'après des observateurs internationaux, a Russie et l’Ukraine possèdent toutes les deux des missiles Tochka-U dans leur arsenal, et le Kremlin a déjà été accusé de s'en être servi dans le conflit actuel. Il est impossible de désigner un coupable sur seule base d’un numéro de série.

Faits

Deux roquettes se sont abattues sur la gare de Kramatorsk le 8 avril 2022. D’après les autorités ukrainiennes, le bilan de cette attaque s’élèverait désormais à 57 morts et une centaine de blessés.

À qui imputer la responsabilité de ce bombardement est pour le moment un point incertain. Moscou et Kiev s’accusent mutuellement. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a dénoncé « un autre crime de guerre de la Russie », tandis que le ministère de la Défense russe a affirmé que les missiles qui ont touché Kramatorsk « ne sont utilisés que par l'armée ukrainienne ».

Comme l’a remarqué Libération, des messages sur des canaux pro-russes, notamment sur Telegram, avaient tout d’abord revendiqué l’attaque, avant d’être supprimés ou modifiés une fois que des victimes civiles ont été annoncées.

Ce qui est sûr, c’est que des débris identifiés comme appartenant à un missile Tochka-U ont été retrouvés sur le site. Des images du missile ont été largement diffusées dans les médias internationaux. Les photos partagées sur Facebook puisent notamment leur origine dans un reportage d’une chaîne de télévision italienne et dans un cliché pris par un photographe de l’AFP.

Les Tochka-U (parfois orthographié Totchka-U et aussi connus sous le code de l’OTAN SS-21) sont des missiles balistiques de conception soviétique, initialement déployés dans les années 1970. Leur portée peut atteindre 120 km, mais ceux-ci sont connus pour leur inexactitude. Officiellement, l’armée russe les a remplacés par les Iskander, plus récents et plus performants. Pourtant, selon le site Missile Threat, différents pays de l’ancienne Union soviétique en possèdent encore dans leur arsenal, y compris l’Ukraine et la Russie.

Des preuves d’utilisation de Tochka-U par la Russie

La position russe est que l’Ukraine serait responsable de l’attaque à Kramatorsk, car, contrairement à Kiev, Moscou n’utiliserait plus de missiles Tochka-U. Plusieurs éléments viennent pourtant mettre à mal cette version.

En outre, des observateurs internationaux sont d'avis que de telles armes ont déjà été employées par la Russie au cours du conflit actuel. D’après des enquêteurs d’Amnesty International, les forces armées russes ont en effet eu recours à de tels missiles dans des attaques intervenues à Vouhledar, Kharkiv et Ouman le 24 février 2022, au premier jour de l’offensive lancée par Vladimir Poutine en Ukraine.

L'Institut pour l'étude de la guerre, un think tank basé aux États-Unis, affirme quant à lui que de tels missiles sont détenus par une unité militaire russe opérant dans le Donbass, région à l’est de l’Ukraine en partie contrôlée par des séparatistes prorusses depuis 2014.

Un numéro de série qui ne dit rien

Il est impossible de dire d’où vient le missile à partir de son seul numéro de série. Les missiles Tochka-U sont aujourd’hui répartis dans plusieurs pays de l’ex-URSS, ainsi qu'en Syrie. C'est ce qu’explique à la dpa le lieutenant-colonel Frederik Coghe, affilié à l'École royale militaire de Belgique.

« La plupart des munitions ne portent pas de marquages, à part ceux du fabricant. Cela rend l'identification de l'utilisateur difficile, voire impossible », souligne-t-il. Selon lui, « les numéros de série ne signifient rien sans les listes indiquant quels numéros de série se trouvent dans quels pays ».

Le problème, c’est que cette information n'est tout simplement pas disponible, en partie parce que les missiles Tochka-U sont maintenant vieux de plusieurs décennies, poursuit Frederik Coghe. « Ce sont des systèmes de l’ère soviétique, mais la distribution qui a suivie, en particulier après l'effondrement de l'Union soviétique, ne peut pas être retracée », précise-t-il. Ainsi, il n'existe pas de liste officielle disant que tel numéro de série correspond à tel missile qui se trouve dans tel pays.

Bien qu'également relayée par des officiels russes, la thèse selon laquelle le numéro de série du missile permettrait de le relier aux forces ukrainiennes est donc sans fondement. Le numéro de série seul ne permet pas de déterminer qui l'a tiré. La dpa a déjà vérifié des allégations similaires aux Pays-Bas et en Allemagne.

Le fait qu’il s’agisse d’un missile Tochka-U ne prouve rien non plus, puisqu'il est rapporté que l'armée russe en utilise toujours et que l’Ukraine en possède également. À partir des informations actuellement disponibles, il n’est pas encore possible de désigner un coupable pour l’attaque à Kramatorsk.

(État des lieux au 15/04/2022)

Liens

Publication Facebook 1/2 (version archivée)

Publication Facebook 2/2 (version archivée)

À propos de l’attaque à Kramatorsk (version archivée)

Bilan de l’attaque au 10/04/22 (version archivée)

Réaction de Zelensky (version archivée)

Démenti de Moscou (version archivée)

Fact-check de Libération (version archivée)

Enquête de la BBC sur Kramatorsk (version archivée)

Reportage italien (version archivée)

Photo de l'AFP (version archivée)

À propos des Tochka-U (version archivée)

Amnesty International sur les Tochka-U et la Russie (version archivée)

À propos de l'arsenal russe (version archivée)

Fact-check de Bellingcat sur Kramatorsk (version archivée)

Institut pour l'étude de la guerre (version archivée)

À propos de Frederik Coghe (version archivée)

Publication de l'ambassade russe au Sénégal (version archivée)

Fact-check de la dpa aux Pays-Bas

Fact-check de la dpa en Allemagne

Contactez l'équipe de vérification des faits de la dpa : factcheck-belgium@dpa.com