Une vieille vidéo d’une journaliste en France qui a été sortie de son contexte

15.2.2022, 17:19 (CET)

Une vidéo montrant une journaliste française en plein duplex lors d’une manifestation des gilets jaunes refait surface sur les réseaux sociaux. On y voit la journaliste évoquer les tensions entre manifestants et forces de l'ordre avant d’être interrompue par la présentatrice d’un JT régional de France 3. « Parce que les médias "traditionnels" sont de mèche avec la police et ont été joyeusement engraissés par les gouvernements, tout ce qui va à l'encontre de la seule voix dictatoriale des gouvernements est censuré! », commente une internaute sur Facebook en Belgique.

Évaluation

La vidéo, qui remonte à 2018, a été sortie de son contexte. France 3 avait rejeté à l’époque toute accusation de censure, expliquant que l’intervention de leur journaliste avait dû être interrompue en raison d’un impératif technique – celui de rendre l’antenne pour poursuivre le programme national.

Faits

Cette vidéo n'est pas récente mais circule de nouveau en ligne ces derniers jours, alors que le mouvement des « Convois de la liberté » tente de s'étendre à l'Europe. Ce mouvement est né au Canada après la mise en place d'une obligation d'être vacciné contre le Covid-19 pour les chauffeurs routiers souhaitant traverser la frontière avec les États-Unis.

Le contexte de la vidéo partagée sur Facebook est pourtant bien différent. Celle-ci a été tournée en novembre 2018. Elle est issue du journal télévisé du 12/13 de France 3 Aquitaine (sud-ouest). La journaliste Laurianne de Casanove effectue un duplex depuis Bordeaux pour faire le point sur un blocage des Gilets jaunes. Une série d'actions avaient été organisées à travers la France à partir du 17 novembre 2018 pour protester notamment contre la hausse des taxes sur le carburant, et s'étaient poursuivies pendant plusieurs jours.

Dans cet extrait du JT, la présentatrice lance « Dernier point sur la situation... » et donne ensuite la parole à Laurianne de Casanove. La journaliste décrit : « (…) Et puis malheureusement la situation se tend. Cela ne vient pas des manifestants, qui sont toujours plutôt bon enfant mais des forces de l'ordre. Les policiers les ont menacés de relever leurs plaques d'immatriculation pour leur mettre des amendes. Et puis derrière moi les CRS sont arrivés avec leurs matraques... »

La présentatrice lui coupe alors la parole, en disant : « Merci beaucoup Laurianne, désolée on est obligé de couper ce direct, au revoir, à ce soir. »

La scène était rapidement devenue virale à l’époque, cette coupure assez abrupte étant interprétée par certains comme de la censure face à ce qui aurait été une tentative de la journaliste de dénoncer les abus policiers. Elle a de nouveau fait surface sur les réseaux sociaux à la mi-février 2022, notamment ici où elle comptabilise plus de 600 000 vues. Sur celle mentionnée ci-dessus, la mention d’un canal Telegram intitulé « Invaccinable » a été rajoutée, remettant la vidéo dans un contexte plus actuel.

Le détournement de cet extrait du JT régional de France 3 avait pourtant déjà été dénoncé à l’époque de sa diffusion par la chaîne, qui regrettait de la « désinformation ». Le 18 novembre 2018, celle-ci avait rejeté toute accusation de censure, notamment dans des commentaires sur Twitter et Facebook. Le groupe avait expliqué que cette coupure un peu brusque avait été nécessaire pour des raisons techniques, et qu’elle n’avait rien à voir avec l’évocation par leur journaliste de la charge imminente des policiers.

En effet, les journaux régionaux du groupe doivent se conclure à une heure précise pour rendre l’antenne à la rédaction nationale. « Il s’agit simplement d’un duplex qui a débordé, et qui a été coupé car nous devions repasser l’antenne au national », clarifiait auprès de Franceinfo Delphine Vialanet, alors déléguée au numérique de France 3 Aquitaine. L’évènement avait aussi été remis en contexte par un autre journaliste de la chaîne sur Twitter.

Interrogée à l’époque par Checknews, le service de fact-checking de Libération, Laurianne de Casanove avait indiqué avoir débordé sur le temps de 15 secondes qui lui avait été imparti en fin de journal. « Je n'entends pas tout de suite dans mon oreillette que je dois rendre l'antenne car il y a un temps de latence, alors je continue, ce qui force ma collègue à me couper la parole », avait-elle précisé, affirmant ne pas avoir été censurée.

Elle rappelait également qu’au début du JT, un duplex de 2 minutes lui avait été consacré pour lui permettre d’expliquer l’état de la situation, selon Checknews. L’intervention des forces de l'ordre avait aussi été évoquée dans le journal du soir, avait rapporté 20 Minutes. En se penchant sur les archives de France 3, on s'aperçoit d'ailleurs que la couverture consacrée à la région Nouvelle-Aquitaine concernait principalement les Gilets jaunes à cette période (exemples ici, ici et ici).

Dans des versions plus longues de la vidéo (par exemple ici), on peut d'ailleurs entendre des éléments clés qui ont été coupés dans les versions plus récentes. La présentatrice commence ainsi la séquence par la phrase « Pour refermer ce journal (…) » et termine par « On reviendra bien sûr sur ces informations » après avoir coupé la journaliste.

(État des lieux au 15/02/2022)

Liens

Publication Facebook (version archivée)

Vidéo archivée

Les « Convois de la liberté » dans le monde (version archivée)

Le 12/13 Aquitaine de France 3 (version archivée)

À propos des blocages des Gilets jaunes (version archivée)

Exemple de post similaire en France (version archivée)

Canal Telegram « Invaccinable » (version archivée)

Démenti de France 3 sur Twitter 1/2 (version archivée)

Démenti de France 3 sur Twitter 2/2 (version archivée)

Démenti de France 3 sur Facebook (version archivée)

Article de Franceinfo (version archivée)

Thread Twitter de Pierre-Guillaume Creignou (version archivée)

Article de Checknews (version archivée)

Article de 20 Minutes (version archivée)

Archives de France 3 du 17/11/2018 (version archivée)

Archives de France 3 du 18/11/2018 (version archivée)

Archives de France 3 du 19/11/2018 (version archivée)

Exemple d'un extrait plus long (version archivée)

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