Une comparaison douteuse et lacunaire entre le « pass sanitaire » et « l’Ahnenpass » nazi
24.9.2021, 17:41 (CEST)
« L’histoire se répète », clame une utilisatrice de Facebook, en comparant le « pass sanitaire » établi dans le cadre de la lutte contre le Covid-19 à « l’Ahnenpass » (passeport des ancêtres) imaginé par l’Allemagne nazie en vue d’exclure les non-Aryens de pans entiers de la vie publique. Elle illustre son propos par une ancienne photo de l’entrée principale du camp d’extermination d’Auschwitz surmontée d’un slogan : « Le pass sanitaire rend libre. » (Version sauvegardée)
Évaluation
L’internaute a tort sur plusieurs points, confirment la littérature sur la Deuxième Guerre mondiale et deux expertes interrogées par la dpa. Par ailleurs, la photo a été (très) grossièrement truquée, évidemment, dans un but provocateur.
Faits
Le « Ahnenpass » consistait en un épais livret généalogique démontrant l’ascendance aryenne – non-juive, en particulier – des personnes le détenant. Il s’est surtout généralisé à partir d’avril 1933, quand fut adoptée, dans l’Allemagne nazie, une « loi sur la restauration du service civil professionnel », considérée comme le point de départ de l’exclusion progressive des Juifs de la vie publique, économique et culturelle (avocats, médecins, journalistes, professeurs, étudiants, acteurs, etc.).
De nombreux livres de référence, thèses de doctorat et témoignages familiaux ont été consacrés à « l’Ahnenpass », dont le Cercle d’étude de la déportation et de la Shoah publie certaines photos.
« Ce passeport donnait accès aux musées, aux édifices publics, aux théâtres, aux études, au travail ! (…) Un peuple qui oublie son passé est condamné à le revivre », écrit l’autrice du message, en omettant de préciser qu’une différence majeure sépare « l’Ahnenpass » nazi du passe sanitaire anticovid : le premier participe d’une ségrégation raciale, le second s’inscrit dans le contexte de la préservation de la santé publique.
Des commentateurs du message s’en indignent, d’ailleurs. « Que je sache, ce pass (sanitaire), lui, (…) ne vous conduira pas aux fours pour parler cru… », souligne une internaute.
De toute façon, les affirmations de l’autrice du message sont en grande partie fausses, affirment deux spécialistes de la Deuxième Guerre mondiale et de la Shoah, interrogées par la dpa : l’historienne Chantal Kesteloot, une des chevilles ouvrières du Centre d’étude guerre et société (CegeSoma), en Belgique, qui est également secrétaire de la Fédération internationale pour l’histoire publique, et Nicole Mullier, responsable du Cercle d’étude de la déportation et de la Shoah, en France.
« Ce certificat (ndlr : l’Ahnenpass) servait pour le recrutement dans la fonction publique, le NSDAP (ndlr : parti au pouvoir) et la SS (« l’escadron de protection » du régime national-socialiste) mais n'était nullement imposé pour accéder aux musées, théâtres et autres édifices publics. C'est un détournement de sens », souligne Chantal Kesteloot.
« C'est un fake, sauf pour certaines professions comme les SS. Le Ahnenpass était exigé pour certaines professions, et surtout après les lois de Nuremberg (ndlr : de 1935), pour bien faire la distinction entre les Aryens et les autres, les Juifs, et les Sinti et Roma », ajoute Nicole Mullier.
C’est anecdotique : la photo d’Auschwitz publiée par l’autrice du message sur Facebook, quant à elle, a été (très) grossièrement truquée, à des fins provocatrices sans doute. L’entrée du camp était en effet barrée du slogan bien connu : « Arbeit macht frei » (Le travail rend libre).
L’AFP, en France, a recensé de nombreux autres exemples sur le thème : « Auschwitz, étoile jaune et vaccins. Quand la "complosphère" invoque le nazisme pour dénoncer la "dictature sanitaire". »
Liens
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