Aucune preuve qu'une protéine produite par la vaccination est toxique

10.06.2021, 18:30 (CEST)

La protéine Spike, une « toxine » potentiellement « dangereuse » qui s’accumule dans nos tissus après la vaccination contre le Covid-19 ? C’est ce qu’aurait révélé un scientifique canadien, qui affirme que cette protéine, que le corps produit après l’injection du vaccin, se propage ensuite dans la circulation sanguine et cause notamment des problèmes cardio-vasculaires. Cette protéine peut également se transmettre aux bébés via le lait maternel des mères vaccinées, et rendre des gens stériles, selon le scientifique, dont les propos sont repris sur différents groupes Facebook en Belgique (ici et ici).

Évaluation

Ces affirmations sont fausses, expliquent plusieurs experts à la dpa. La protéine Spike est une protéine virale, et non une toxine, qui se trouve à la surface du virus. Les vaccins actuellement utilisés contre le Covid-19 vont stimuler une réponse immunitaire contre cette protéine. Une fois la réponse immunitaire mise en marche, les traces de la protéine Spike dans le corps disparaissent. Il n’existe par ailleurs aucune preuve que la protéine Spike fabriquée par le corps après la vaccination est toxique ou a un effet sur le lait maternel et/ou la fertilité.

Faits

Les déclarations reprises dans des articles partagés sur Facebook (ici et ici) proviennent d’une interview donnée par un homme présenté comme Byram Bridle dans une émission de radio canadienne le 28 mai 2021. Byram Bridle est un spécialiste en immunologie virale, qui mène des recherches et enseigne au Collège vétérinaire de l'Ontario, d’après le site de l’Université de Guelph, au Canada.

Pour soutenir ces assertions, il affirme que lui-même et d’autres collaborateurs internationaux ont eu pour la première fois accès à une étude obtenue auprès de l’agence de réglementation japonaise sur les vaccins à ARN messager (Pfizer/BioNTech et Moderna). Bien qu’il ne nomme pas directement l’étude en question, les articles circulant sur Facebook reprennent notamment un document de la société pharmaceutique Pfizer, utilisée par les autorités japonaises dans le cadre de l’autorisation du vaccin et disponible en ligne depuis des mois.

Il s’agit d’une étude sur la pharmacocinétique du vaccin, c’est-à-dire sur les réactions qui se produisent après l'introduction d'un médicament dans l'organisme. Le même contenu a également été utilisé par l'Agence européenne des médicaments (EMA) lors du processus d'approbation en Europe. Ces données ont aussi été publiées sur le site de la Food and Drug Administration américaine (FDA), lors d'une réunion d’un comité sur les vaccins en décembre 2020.

Mais cette étude n’est associée à aucune découverte sur les « dangers » de la protéine Spike. Premièrement, elle a été effectuée sur des rats et non des humains. Deuxièmement, ces rats ont reçu une dose beaucoup plus élevée (une marge 500 fois supérieure à celle de la dose humaine sur base du poids, selon l’EMA à la page 54). Troisièmement, cette étude particulière retrace la distribution des lipides, ou des graisses, après l'inoculation du vaccin et non des protéines.

La protéine Spike, c’est quoi ?

La protéine Spike, ou protéine de pointe, est la protéine principale qu’on trouve à la surface du SARS-CoV-2, le virus qui cause la maladie Covid-19. Cette protéine permet au virus de s’attacher à nos cellules, et d’y entrer pour se multiplier. C’est aussi cette protéine qui est la cible d'anticorps, produits par notre système immunitaire, visant à neutraliser le virus, résument trois experts en immunologie et virologie à la dpa.

Les vaccins vont donc stimuler une réponse immunitaire contre la protéine Spike, en utilisant du matériel génétique qui donne l’instruction aux cellules touchées par le vaccin, donc à l’endroit de l’injection, de fabriquer la protéine.

« Le résultat de cela c’est que nous allons fabriquer les nombreux anticorps contre cette protéine Spike et ces anticorps vont donc aller se mettre dessus, ce qui fait qu’elle ne peut plus s’accrocher nulle part et donc le virus ne peut plus rentrer dans nos cellules », déclare Pierre Coulie, professeur d’immunologie à l’Institut de Duve, un institut de recherche biomédicale de l'Université catholique de Louvain.

Aucune preuve de toxicité

Contrairement à ce que Byram Bridle avance, la protéine Spike n’est pas une toxine, remarque Pierre Coulie. « Ca n’a rien à voir avec une toxine. Ce n’est pas une protéine toxique, c’est une protéine qui sert d’accrochage », souligne-t-il.

Byram Bridle affirme entre autres que la protéine Spike pénètre dans la circulation sanguine avant de s’accumuler dans des endroits comme la rate, le foie et la moelle osseuse, au lieu de rester concentrée uniquement dans les cellules proche du site de l’injection du vaccin. La protéine Spike pourrait ainsi causer des problèmes cardio-vasculaires, notamment au cerveau, suivant la vaccination, assure-t-il.

Il n’existe pourtant aucune preuve tangible allant dans ce sens, comme l’a déjà écrit la dpa en vérifiant un post similaire aux Pays-Bas.

Concernant les cas signalés de caillots sanguins après l'administration de vaccins à vecteur viral (AstraZeneca et Johnson & Johnson), des chercheurs allemands ont émis l'hypothèse suivante : l'adénovirus, le virus modifié qui est utilisé pour introduire la protéine Spike dans le corps, pénètre dans le noyau cellulaire au lieu du fluide cellulaire, où le virus fabrique normalement des protéines. Là, des parties de la protéine Spike peuvent se fendre et se propager dans le corps, déclenchant dans de très rares cas des caillots sanguins. Il s'agit toutefois d'une théorie non vérifiée par des pairs. De plus, les incidents de caillots sanguins après la vaccination restent des cas isolés.

« Il n’y a pas d’élément de preuve ou d’observation scientifique solide qui permette d’affirmer que la présence de Spike au site d’injection du vaccin (dans le bras), ou dans les ganglions qui le drainent, voire même plus loin si la protéine entrait dans la circulation sanguine, soit dangereuse », analyse de son côté Sophie Lucas, elle-aussi immunologue et présidente de l'Institut de Duve.

De plus, « vu les quantités administrées, la protéine Spike toute seule ne peut sans doute pas exercer quoi que ce soit comme effet biologique, en dehors d’effets sur le système immunitaire (c’est-à-dire les effets que l’on recherche précisément à obtenir avec le vaccin) », juge-t-elle.

« En aucun cas il n'y aura une production de protéine dans des proportions permettant une accumulation dans un tissu ou organe particulier », abonde Jean Ruelle, virologue et professeur au Pôle de microbiologie médicale de l’UCL.

Le professeur rappelle que la protéine Spike est présente dans le corps après la vaccination « de façon transitoire, et essentiellement localement à proximité des cellules qui produisent cette protéine suite à la vaccination ». « Une fois la réponse immunitaire mise en marche, il n'y a plus aucune trace de la protéine Spike dans le corps », ajoute-t-il.

Une étude publiée le 26 mai 2021, dans laquelle des échantillons de plasma de personnes vaccinées ont été analysés, a en effet trouvé des traces de la protéine Spike chez trois des 13 participants, toutefois devenue indédectable après l'injection de la deuxième dose du vaccin.

Aucune preuve d’un effet sur le lait maternel ou la fertilité

Byram Bridle suggère aussi que la protéine Spike peut se retrouver dans le lait maternel de mères récemment vaccinées, et pourrait ainsi causer des problèmes aux enfants allaités. Des propos que Jean Ruelle qualifie de « fantaisistes ». « Il faut savoir que la plupart des protéines ont une durée de vie limitée lorsqu'elles sont produites. De plus, si vous ingérez cette protéine, elle va être digérée », explique-t-il.

Une conclusion similaire à celle du Conseil Supérieur de la Santé, qui écrit (page 10) qu'il n'y aurait « aucun effet délétère » même si des protéines Spike vaccinales venaient à passer dans le lait maternel.

Il existe plusieurs études (ici, ici et ici) sur ce sujet dans différents pays, bien que certaines soient menées à petite échelle ou en attente d'un examen par des pairs. Aucune n'a conclu à la présence substantielle d'un vaccin à ARN messager dans le lait maternel. Des anticorps maternels contre le Covid-19 ont été trouvés, ce qui est un mécanisme naturel visant à protéger l’enfant.

Dans tous les cas, ce seront des anticorps contre la protéine Spike qui seront transférés et non la protéine elle-même, souligne Pierre Coulie. La vaccination contre le Covid-19 pour les femmes allaitantes est d'ailleurs recommandée par le Comité Fédéral de l'Allaitement Maternel.

« Même si Spike se retrouvait dans le lait maternel (ce qui est très peu probable vu les quantités de Spike injectées ou synthétisées localement par nos propres cellules suite à un vaccin), il n’y a aucune raison scientifiquement fondée que je connaisse qui indique que cela pourrait représenter le moindre danger pour les bébés allaités », indique Sophie Lucas.

Les trois experts s’accordent également pour dire qu’il n’existe aucune preuve que les vaccins puissent rendre stériles, des observations que l'on retrouve sur le site info-coronavirus.be (sous l'onglet « La vaccination affecte-t-elle la fertilité ? »).

Liens

Publication Facebook n°1 (archivé)

Publication Facebook n°2 (archivé)

Article trompeur n°1 (archivé)

Article trompeur n°2 (archivé)

Byram Bridle (archivé)

Émission radio

Types vaccins OMS (archivé)

Document Pfizer

Définition pharmacocinétique

Pierre Coulie (archivé)

Vérification dpa Pays-Bas

Sophie Lucas (archivé)

Jean Ruelle (archivé)

Etude plasma (archivé)

Recherche caillots sanguins (archivé)

Article caillots sanguins (archivé)

EMA caillots sanguins (archivé)

Conseil Supérieur de la Santé allaitement

Etude anticorps lait maternel (archivé)

Etude vaccins ARN lait maternel (archivé)

Etude allaitement et fertilité (archivé)

Comité Fédéral de l'Allaitement Maternel (archivé)

info-coronavirus.be sur la fertilité (archivé)

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